Le Haut Conseil pour le Climat a présenté son rapport « Accélérer la transition climatique avec un système alimentaire bas carbone, résilient et juste » dans une version grand public en 7 points.
Nous les avons décryptés pour mieux comprendre les enjeux de décarbonation d'un modèle agricole en crise.
Qu’est-ce que le Haut Conseil pour le Climat (HCC) ?
Cet organisme indépendant est chargé d’évaluer l’action publique en matière de climat, et sa cohérence avec les engagements européens et internationaux de la France, en particulier l’Accord de Paris.
Ce conseil est composé de personnalités éminentes du milieu climatique tel que :
- Corinne Le Quéré, Coprésidente du Global Carbon Project (GCP) de 2009 à 2013, c’est aujourd’hui la présidente du Haut Conseil pour le climat.
- Valérie Masson-Delmotte : directrice de recherche au CEA et coprésidente du groupe no 1 du GIEC de 2015 à 2023,
- Céline Guivarch, économiste du changement climatique française et une des autrice du sixième rapport d'évaluation du GIEC,
- Jean-Marc Jancovici, cofondateur de Carbone 4, un cabinet de conseil qui vend des bilans carbone aux entreprises, et du think tank The Shift Project. Il est le créateur du bilan carbone.
Ce rapport, élaboré par Estelle MIDLER, Sarah VOIRIN et Anass HAMMANI (avec l’appui d’Élisa SGAMBATI et Yohanan KASRIEL fixe 3 principaux objectifs :
- Mesurer l’évaluation des politiques publiques bas-carbone
L’objectif défini par la SNBC (Stratégie National Bas Carbone) est de réduire les émissions de 18% les émissions du monde agricole en 2030 par rapport à 2015 en réduisant les émissions de GES et en développant les puits de carbone.
- Aborder ses impacts socio-économiques et environnementaux
Le rapport s’intéresse notamment aux impacts des politiques publiques bas-carbone sur la formation, l’emploi ou encore la biodiversité.
- Compléter le rapport annuel 2023.
Ce document complète et actualise les recommandations ciblant l’alimentation et l’agriculture formulées dans le rapport annuel 2023 du Haut conseil pour le climat.
Le bilan carbone effectue la balance entre émission de GES (exemple : co2 émis lors de la combustion d’énergie fossile) et le stockage de GES (aussi appelé puits de carbone). Ce bilan peut donc être positif ou négatif. Nous allons présenter ces deux aspects ci-dessous.
1- Les émissions de gaz à effet de serre :
En France, les émissions du secteur de l’agriculture s’élèvent à 77 Mt éqCO2 en 2021 et comptent pour 18 % des émissions totales de GES de la France (hors changement d’affectation des terres inclus dans le secteur UTCATF). Il s’agit du deuxième secteur émetteur en France derrière les transports.
Les émissions de l’agriculture française ont diminué de 13 % sur la période 1990-2021.
La décarbonation du secteur de l’agriculture a été moins rapide que celle des autres secteurs émetteurs, qui ont réduit leurs émissions de 23 % sur la même période. Par conséquent, le poids du secteur agricole dans les émissions nationales a augmenté de deux points de pourcentage en 2021 par rapport à 1990. Enfin, la France diminue moins vite ces émissions (entre 1990 et aujourd’hui) que la moyenne européenne actuellement constatée.
La baisse des émissions de l’élevage (-15 %) entre 1990 et 2021 résulte principalement d’une diminution de la taille du cheptel bovin . Nous reviendrons plus en détail sur l’origine de ces émissions plus tard dans l’article.
2- Le stockage du carbone dans le sol
Mais par ailleurs, les prairies et les cultures peuvent aussi stocker du carbone. La matière organique des sols représente ainsi le réservoir continental de carbone le plus important, supérieur au stock de carbone présent dans la biomasse et dans l’atmosphère réunies ! Ce carbone organique sous-terrain est principalement issu des apports végétaux vers le sol.
Ainsi, en modifiant l’affectation des sols (en passant d’une culture à une prairie par exemple), la capacité de stockage du carbone du sol sera modifiée et ce qui impactera le bilan carbone de l’exploitation agricole.
Par ailleurs, la manière dont la terre est travaillée influence également le stockage et le déstockage du carbone. Du côté de la rétention du carbone, certaines pratiques vont produire davantage de biomasse (exemple : passer d'une exploitation céréalière classique a de l’agro-foresterie). Le déstockage peut avoir lieu par l’accélération de la dégradation du carbone organique, principalement par oxygénation après travail du sol : c’est le cas typique de la labour.
Ces changements peuvent constituer une source importante d’émissions ou de puits additionnels. A l'inverse, si la culture moissonnée est la même chaque année, il n'y a pas de constitution d'un nouveaux puit de carbone (ce qui aurait permis de diminuer le bilan carbone du secteur).
Les émissions liées principalement à la production agricole, soit celles de l’élevage, des cultures, ainsi que les émissions énergétiques des engins, moteurs et chaudières agricoles.
Pour la majorité, elles proviennent du processus biologique au sein des systèmes de production et dépendent peu de la consommation d’énergie fossile. Les processus biologiques sont principalement de deux origines :
- L’élevage (59%)
- Les cultures (27%)
L’élevage :
Ces émissions de l’élevage représentent 46 Mt éqCO2 en 2021, soit 59 % des émissions de l’agriculture.
Principalement composées de méthane (93 %), elles proviennent du processus de digestion des ruminants (bovins, ovins et caprins principalement), appelé fermentation entérique, et de la gestion des effluents d’élevage, également émetteurs de méthane, mais aussi de protoxyde d’azote.
Les cultures
Les émissions des cultures représentent 21 Mt éqCO2 en 2021, soit 27 % des émissions du secteur agricole. Elles sont principalement dues à l’épandage d’engrais azotés minéraux, organiques et des apports à la pâture. L’utilisation d’engrais azotés minéraux est également responsable d’émissions indirectes lors de leur synthèse. La baisse des émissions des cultures (-15 %) entre 1990 et 2021 résulte principalement d’une baisse de la fertilisation azotée.
Il existe de nombreuses pratiques agronomiques qui permettent de réduire les émissions de GES sans modifier la production française. Plusieurs études de l’Inrae, dont la première publiée en 2013, évaluent le potentiel d’atténuation des pratiques (réduction des émissions de GES et stockage du carbone) sans impact négatif sur les rendements (pas de baisse de plus de 10 %) et leur coût de mise en œuvre.
Les actions pour réduire les émissions peuvent se regrouper dans quatre catégories :
actions de diminution des apports de fertilisants minéraux azotés, à l'origine de la plus grande partie des émissions de N2O;
actions de stockage de carbone dans le sol ou la biomasse,
actions de modification de la ration alimentaire des animaux, pour réduire les émissions directes de CH4 ou les quantités de matières azotées excrétées ;
et actions de valorisation des effluents pour réduire leurs émissions de méthane et pour la réduction de la consommation d’énergie fossile sur l'exploitation
Des pratiques stockantes existent également. Plusieurs d’entre elles contribuent à atténuer les effets du changement climatique par le stockage et peuvent techniquement être mobilisées en même temps. Les potentiels de réduction sont importants s’agissant de l’agroforesterie, des haies, des prairies et des cultures intermédiaires. La fertilisation azotée de certaines prairies permet d’augmenter le stockage de carbone dans le sol, mais elle génère également des émissions de protoxyde d’azote et est donc émettrice nette.
Du champ à l’assiette, de nombreux processus sont mis en place pour remplir les rayons des grandes surfaces.
Nous allons faire un focus sur 2 d'entre eux pour illustrer les enjeux de décarbonation du secteur.
INDUSTRIES AGROALIMENTAIRES ET TRANSFORMATION
Les industries agroalimentaires peuvent diminuer leur consommation énergétique et agir sur leur approvisionnement en matières premières agricoles pour réduire les émissions de GES en mobilisant différents outils. Le bilan carbone est un outil de diagnostic qui permet aux entreprises d’identifier les postes d’émissions et ainsi de développer des solutions d’efficacité ou de sobriété ciblées.
L’intégration d’énergies bas carbone, en particulier l'électricité bas carbone, a un rôle majeur à jouer dans la décarbonation des émissions directes des industries agroalimentaires.
TRANSPORTS
Selon le rapport, pour réduire les émissions du transport routier de produits alimentaires, principal responsable des émissions du fret alimentaire, plusieurs pistes doivent être poursuivies conjointement. La première vise à réduire la demande en transport de marchandises et donc les tonnes kilomètres parcourus via une relocalisation des composantes du système alimentaire. Celle-ci nécessiterait une réorganisation régionale de la production agricole, de la transformation, de la distribution autour de bassins de vie et une réorientation de la consommation alimentaire vers des produits locaux. Cette relocalisation des systèmes alimentaires, pouvant notamment s’appuyer sur le développement de circuits courts de proximité, pourrait cependant impliquer un développement du transport routier au détriment du transport maritime. Elle doit donc s’accompagner d’une optimisation de la chaîne logistique (introduction de points territoriaux d’agrégation des flux et hubs, systèmes de mutualisation des transports, remplissage maximal des camions et véhicules utilitaires, etc.), d’une décarbonation du transport routier et d’un report modal vers des modes de transports moins émetteurs.
L’empreinte carbone permet également d’évaluer la part des émissions du système alimentaire associée à des importations. Or, La France importe 20 % de son alimentation et ses importations alimentaires ont été multipliées par deux, en valeur, depuis 2000. Or pour produire, il faut des terres, ce qui se fait souvent en sacrifiant des forêts :
Près des 90 % de cette déforestation peut être attribuée à l’expansion agricole, dont un tiers de la production est destinée à l'exportation.
De manière chiffrée, entre 1990 et 2020 la déforestation a causé la disparition de 420 Mha de forêt. 38. À l’échelle mondiale, la déforestation importée ainsi que la dégradation des forêts tropicales sont à l’origine d’un déstockage massif de carbone.
L’impact climatique des régimes alimentaires est largement corrélé à la quantité de produits d’origine animale consommés, du fait de leur forte empreinte carbone. La diminution de la consommation de produits d'origine animale et la substitution des protéines d’origine animale par des protéines végétales constituent, ensemble, le premier levier pour réduire les émissions de l’alimentation. En France, en 2020, la consommation moyenne de viande s’élevait à 85 kg, dont 32 kg de viande porcine, 28 kg de volaille et 23 kg de viande bovine
Or, selon les études, un seul kilo de bœuf émet autour des 30 kg CO2e.
La réduction de la part de protéines animales dans l’alimentation constitue le premier levier mobilisable pour décarboner la consommation alimentaire française et génère également des co-bénéfices pour la santé.
Cependant, ce levier n’est pas toujours privilégié dans les études car les élevages de ruminants à l’herbe, contrairement aux élevages de monogastriques (poulet par exemple), fournissent un bouquet de services écosystémiques (préservation de la biodiversité, des sols et des ressources naturelles, production d’engrais organique) et parce que les produits des cultures utilisés pour l’alimentation des monogastriques pourraient être utilisés pour l’alimentation humaine contrairement à l’herbe. Certains scénarios proposent donc une réduction de la consommation de viande de monogastriques plus forte que celle de ruminant, et une réorientation de la production de viande bovine vers des systèmes d’élevage agroécologiques. Cette approche systémique, qui prône une plus faible consommation de viande mais de meilleure qualité, permet de favoriser les services écosystémiques, dont le stockage de carbone dans le sol des prairies ou le bouclage du cycle de l’azote.